Échéances électorales 2010/2011 : Le retour de la « congolité » ?
En
effet, le fait quune question reçoive une multitude de réponses qui sont
fausses ou mauvaises, ne signifie pas, en soi, que la question elle-même soit
fausse ou erronée ou, même, posée avec de mauvaises intentions. Une mauvaise
solution ne signifie pas que lon a posé un faux problème. Si lon posait, vers
1950, la question de lexistence, parmi les Belges, dune identité flamande et
dune identité wallonne, lon récoltait au mieux un haussement dépaules, au
pire une accusation dincivisme. Et pourtant…
Il
me paraît que, lorsque lon prétend commenter leur vie politique, le minimum de
politesse que lon doit aux Congolais est de ne pas écarter comme inexistante
une question qui les préoccupe.
Les
débats qui entourent toutes les élections congolaises, disions-nous donc, ont une étrange tendance à se concentrer sur
une seule question : celle de la « congolité ».
Bien
sûr, si la démocratie est le gouvernement pour le peuple et par le peuple, ou
du moins par délégation reçue du peuple, il est légitime que ce peuple désire
avoir pour élus, représentants et délégués des gens en qui il peut se
reconnaître, qui soient suffisamment proches de lui pour quil suppose quils
partagent ses désirs, ses espoirs et ses aspirations. Il est donc logique quil
cherche cette sorte de convergence, par exemple dans la proximité du sang. Il y
a une certaine logique, même dans le tribalisme : « A qui me
fierais-je, sinon à mon frère ? »
Oui,
mais !
Ne
dit-on pas aussi : « On nest jamais aussi bien trahi que par les
siens » ou « On choisit ses amis. Ses frères, on les subit ».
Les haines et disputes de famille ne sont-elles pas lexemple même de ces rancœurs recuites qui
peuvent durer indéfiniment ? On se brouille à mort et à jamais, à propos
de deux vases et dune pendule, à loccasion du décès dun parent, dont il faut
partager les dépouilles…
A
propos de dépouilles, il est tout de même singulier dentendre tellement parler
de la généalogie des candidats, de la « nationalité douteuse » de tel
de leurs ascendants, bientôt sans doute du tempérament léger de leur grand-mère
vraiment trop hospitalière… Pour
finir, à éplucher la généalogie de chacun avec la subtilité dune assemblée de
rabbins commentant
on en perd de vue des détails mineurs, tel que de remarquer que bon nombre
dentre eux sont de grasses sangsues attachées aux plus riches veines (des
veines de minerais !) du Congo, ou la question de savoir sils ont un
projet de société, de développement, pour leur pays.
Bon !
Il et question délections. Cela ne grandit pas les gens qui soccupent de
politique, mais enfin, il faut le reconnaître : à lapproche dune élection,
on se montre rarement regardant quant aux affirmations, bruits ou ragots dont
on pourrait se servir contre ses adversaires. La tendance dominante est plutôt
à faire flèche de tout bois, et cela est fort loin dêtre particulier au Congo.
Dès
que lon examine de plus près ce fagot de bois dont on peut faire des flèches,
on saperçoit que la « congolité » est un nom sous lequel on regroupe
plusieurs ordre différents de questions, à savoir :
1. le « flou artistique »
qui entoure la personne de Joseph Kabila ;
2. un certain décalque de
« livoirité », qui nest pas sans ressemblance avec des faits
congolais, encore que ceux-ci ne soient pas en général classés sous le nom de
« congolité » ;
3. les problèmes découlant de la
double nationalité de certains Congolais de la diaspora ;
4. des questions qui découlent de la
non-assimilation des populations dorigine rwandaise.
Qui êtes-vous, Monsieur le
Président ?
La
« congolité
» au premier sens du terme était, il faut bien le dire, basée sur un canevas un
peu simpliste. Il sagissait alors des faux Congolais qui nétaient pas des
vrais Congolais vraiment du Congo… Le regard sourcilleux des fins limiers en
« congolité » se braquait alors avec une acuité particulière sur la
frontière Est. Le faux Congolais qui aurait voulu (mais en vain, le traître, car on le guettait
et on lavait vu !) passer pour un Congolais, vraiment vrai Congolais du
Congo était de préférence Rwandais. Il a quelque chose de Tutsi dans la narine,
ou dinterlacustre dans le tibia. Ce « faux congolais » là se
reconnaissait surtout à ce quil avait dinconnaissable. Le flou de sa
biographie, le brouillard qui planait sur certains épisodes de son CV le
désignaient à lattention. Il était rarement le fils de son père et, au fond,
quant à sa mère même, on nétait pas trop sûr. Peut-être que ça vous fait
penser à… Chut ! Je nai cité personne, mais suivez mon regard…
Ce
flou, principe indispensable à laction, était dailleurs un élément si
important que sans lui, un Congolais totalement ou partiellement faux passait
avec aisance pour un Congolais vraiment Congolais du Congo. Quelques litres de
sang portugais, une ascendance belgo-polonaise remuée de burundais, mais connus
de tous, nempêchaient pas dêtre un Congolais vraiment Congolais du Congo. Le
flou, tout était là !
Pour
vous dire mon avis sans ambages, javais alors limpression nette que quelquun
était visé… (Vous suivez toujours mon regard ? Bon !)
Le
« flou artistique » qui entoure la biographie de JK POURRAIT
sexpliquer par les nécessités de la clandestinité où vivaient les siens
jusquen 1996. Il POURRAIT aussi être signe de « choses à cacher »…
Allez savoir ! Il devait en tous cas sattendre à ce quon sen serve
contre lui.
Mais
pourquoi, de toutes les branches qui traînent, ne ramasse-t-on que celle-là
pour en faire une flèche ?
Evidemment,
les services de propagande de JK répondront, la main sur le cœur, que si lon
colporte de tels bruits, cest parce que si lon ne recourait pas à ces ragots,
on serait bien en mal de critiquer leur candidat. Que dire de son physique. Il
est joli garçon, bien propre et bien coiffé. Il a de la tenue et ses cravates
sont dun goût parfait. De sa vie privée ? Elle est, somme toute,
présentable. De ses capacités ? Cest un aigle ! De son bilan ? Il
est parfait ! Et voilà pourquoi des adversaires de mauvaise foi usent de
manœuvres basses et dégoûtantes…
Ouais !
Est-ce bien tout ? Ny aurait-il pas autre chose ?
La
politique a ceci de commun avec le judo : elle comporte lart de savoir
tomber. Observez, par exemple, les gouvernements belges. Ils tombent, de
préférence, sur des incidents communautaires. Quand bien même le désaccord qui
mine la coalition concerne le social, on sarrange pour « chuter »
sur lune ou lautre incongruité dans les Fourons ou les communes à facilité.
Attribuer la chose à un raidissement, au « trop is te veel », cest
être sûr dêtre approuvé par la majorité dans les deux parties du pays !
On
pourrait bien soupçonner quelque chose de ce genre derrière cette obsession de
la « congolité » ! Car enfin, soyons clair, on ne manquera pas
de raisons dadresser les reproches les plus fondés à tous les candidats quant
à leurs actes durant la dernière
législature,
le cirque de
dictature « pure et dure » de Mobutu !Or, ces faits-là (et non la
« congolité » plus ou moins garantie de tel ou tel dirigeant)
resteront dans lhistoire comme leurs grandes fautes, et la contribution à
les acteurs de ce processus.
Bref,
on préfère taire ces faits gênants, à la fois parce que tout le monde y a
participé, que personne nen a demandé la fin et quon espère bien continuer
dans la même voie. Tant pis pour le petit peuple ! Il faut être prudent quand même, et ne pas
lancer contre ses adversaires de critiques qui pourraient faire
« boomerang » et vous revenir en pleine figure. Voilà pourquoi il
vaut mieux taire sa politique, sen prendre à son teint ou à son angle facial
et crier : « Il nest pas Congolais ! ».
Mais,
comme au Congo rien nest simple, on a encore une fois emboîtées les unes dans
les autres plusieurs questions différentes que lon a ensuite allègrement
confondues, à savoir :
– Joseph Kabila est-il le fils,
selon la chair, de Laurent Kabila ?
– JK a-t-il légalement droit – quel
que soit son père – à la carte didentité congolaise quil a en poche ?
– Etait-il éligible quand il sest
présenté aux Présidentielles de 2006 ?
– JK fait-il, au-delà des paperasses
administratives, intimement et viscéralement partie du peuple congolais.
La
dernière question est la plus rarement posée, sans doute pour la simple raison
quelle est sans répercussion directe et immédiate sur léligibilité de Kabila.
Cest pourtant la seule véritablement importante et elle pourrait donner la clé
de beaucoup dincompréhensions. Car à cette question, la réponse est clairement
et distinctement « Non ». JK
ne fait pas intimement et viscéralement partie du peuple congolais. Tout
simplement parce quun homme qui à lâge le plus tendre a été emmené hors de
son pays, a été entièrement élevé à létranger et nest ensuite revenu quà
vingt-cinq ans, ne peut avoir avec un peuple les affinités qui découlent
davoir vécu pendant des années dans son sein. Comme dit une chanson, être dun
pays, cest avoir « dans le cœur une ville ou un village, où on pourrait
trouver son chemin dans le noir ». Faute de cela, un homme peut avoir une appartenance administrative à
cette nationalité, mais il na pas cette
proximité où un peuple peut se reconnaître, se sentir suffisamment proche de
lui pour quil suppose quil partage ses désirs, ses espoirs et ses
aspirations, sentir cette convergence, plus importante encore que la proximité
du sang. En ce sens, JK est tout simplement un apatride.
Autre
question : son lien de filiation avec Laurent Désiré Kabila. Et itérative
bizarrerie : on na jamais pris en compte le témoignage involontairement
donné par lun des principaux intéressés : Mzee Kabila lui-même. On voit
arriver dans son sillage un jeune homme qui ne distingue ni par des dons
particuliers, ni par des exploits héroïques. Néanmoins, ce jeune homme se voit
« bombardé » général en moins de temps quil ne faut pour lécrire.
Et ceci alors que lon se trouvait à la fin dune campagne militaire et quil y
avait sûrement beaucoup dofficiers subalternes qui auraient pu faire valoir
des titres plus sérieux à obtenir cet avancement. Ajoutons quune faiblesse
bien connue de Laurent Kabila était son sens trop aigu de la famille. Le
maintien à dimportants postes à responsabilités dun trublion gaffeur comme
Gaëtan Kakudji ne sexplique pas autrement. Lavancement ultra-rapide et sans
justification de Joseph Kabila montre donc que Laurent Kabila avait pour lui
une générosité et une indulgence qui prouvent en tous cas quil laimait et
créent à tout le moins une présomption de parenté par le sang.
Certes,
il y a dinquiétants indices dans lautre sens, dont certains dus à lintéressé
lui-même, dont le moindre nest pas la réticence de Kabila lui-même à parler de
son passé ou à répondre réellement aux questions (on avait suggéré un test ADN,
il a répondu « par la bande » en se mariant, …ce qui amenait la
publication des bans, mentionnant sa généalogie officielle, qui pourrait être
apocryphe). Malheureusement, se adversaires sont au moins aussi incohérents que
lui. Ils ont commencé par critiquer la succession « de père en fils »
(et ils y reviennent à loccasion). Ils nont jamais remis en cause la
« congolité » de Jaynet Kabila, présentée comme sa sœur jumelle. Ils
ont annoncé plusieurs versions divergentes de la « véritable identité » de Kabila, avant de sarrêter à
celle qui les arrangeait le mieux : « Hippolyte Kanambe,
Rwandais »[1].
En
fait, tout un pan de la question « congolité » nest rien dautre
quune tentative pour remettre en cause léligibilité de Kabila, donc son
élection, la légitimité de son pouvoir, partant, celle du gouvernement… Cest
un véritable « jeu de dominos » qui finirait par entraîner tout
lédifice des institutions. Cela permet de plus de faire de la lecture de
lactualité congolaise une sorte de James Bond, avec un agent rwandais infiltré
au plus haut niveau de létat.
Cette
approche des choses avait peut-être un sens avant lélection présidentielle ou
juste après le scrutin, dans la mesure où lon pouvait toujours imaginer que
lun ou lautre instance chargée de lenregistrement des candidats, de la
validation des élections, etc… pourrait être sensible aux arguments[2]
mettant en cause léligibilité de JK et bloquerait sa candidature ou
invaliderait son élection. Comme cela ne sest pas produit, on a bien dû se
résigner à lavoir pour président jusquen 2011, quitte à pester contre
« Hyppolite Kanambe » sur lInternet congolais.
Ce
mandat lui a permis de donner la pleine
mesure de ses faiblesses, de ses incapacités et de ses incompétences. Pourquoi
soccuper encore de sa congolité, quand le bilan avec lequel il devra se
présenter devant ses électeurs est le chef dœuvre absolu du nul et du
négatif ? Faire encore du battage autour de « Kanambe, le
Rwandais », cest poser que, sil était congolais, il pourrait être
acceptable. Or, ce que les années écoulées ont largement prouvé, cest que
Joseph Kabila, même sil prouvait surabondamment quil est Congolais, vrai de
vrai Congolais vraiment du Congo, ne doit pas être réélu, même si la place lui
plaît bien !
Si
un étranger, voire un apatride à lorigine floue, amené au pouvoir par les
circonstances, y donnait les preuves de capacités supérieures et dun
dévouement sincère au pays dont peut-être il nétait pas au départ vraiment
citoyen, on aurait toutes les raisons de la garder. Mieux, on ne poserait même
pas la question superflue de sa nationalité. Mais si par contre, un Congolais
indiscutable se montre incapable davoir une autre ligne politique que celle du
« chien crevé au fil de leau », il est urgent de sen débarrasser.
Un décalque de
« livoirité » ?
Sur
base dune concordance de dates[3],
les Congolais qui rejettent comme artificiel le thème de la
« congolité » avancent quil sagirait là dune importation pure et
simple. Ce serait un décalque de la notion divoirité qui a fait de
considérables ravages en Côte dIvoire en 2002 et les années suivantes.
Il
faut donc examiner si les situations se ressemblent. La population ivoirienne
se monte à plus de 20 millions dhabitants et est multiethnique.
au nord,
le groupe voltaïque (Gur) ou sénoufo, 13 % de la population ;
au nord-ouest, le groupe mandé du Nord ou malinke, 12,2 % de la
population ;
à louest, le groupe mandé du Sud, 7,4 % ;
au sud-ouest et au centre-ouest, le groupe krou, 9,4 % de la
population ;
au centre et à l'est, le groupe akan, 31,1 % de la population.
Composée
d'une forte proportion de jeunes (en 1998 les jeunes de moins de 15 ans
représentaient 43% de la population totale, contre 4% pour les personnes
âgées), la population ivoirienne est inégalement répartie sur le territoire
national. Les variations s'observent d'une région à l'autre, mais également
entre zones rurales et zones urbaines. Au détriment de la zone du nord, le sud,
louest et lest sont en effet, en plus des étrangers, fortement peuplés
dallogènes dont le déplacement est dicté par la recherche de terres arables ou
propices au développement des cultures de rente comme le café et le cacao. Ces
allochtones sont surtout de souche burkinabé, et représentent environ un quart
de la population. De ce fait le groupe Gur est perçu comme menaçant de devenir
le plus important du pays. Le taux de peuplement est également élevé dans les
zones urbanisées, compte tenu de lexode des populations rurales constituées en
majorité de jeunes en quête demploi. La crise déclenchée en septembre 2002 a
pour sa part accéléré le clivage entre les zones nord et sud.
a, pour une population plus que triple,
un peu plus de groupes ethniques, mais sa complexité linguistique et cultuelle est moindre :
les bantous sont nettement majoritaires, et les quatre langues dites
« nationales » appartiennent toutes à cette famille. On pourrait donc
dire, dune certaine façon, quil y a plus de groupes ethniques au Congo, mais
quils sont moins distants les uns des autres que ceux de Côte dIvoire. Mais
il ya somme toutes assez de points communs pour que la comparaison ne soit pas absurde.
Limmigration
en CI des « étrangers à livoirité discutable », cest à dire
fondamentalement des peuples du groupe Gur, est ancienne, même si elle na
cessé de se poursuivre, du régime français à nos jours. Son origine lointaine
est à chercher dans la mise en valeur par le colonisateur des territoires de
lAOF, époque à laquelle fut décidée la
spécialisation de
dans la production de cacao. Il fallait de la main dœuvre. On la fit venir. Et
il en alla de même ensuite de lexpansion connue en son temps sous le nom de
« miracle ivoirien ». Les « immigrés » sont donc là depuis
longtemps, sont souvent unis par le mariage à des originaires[4]
et ceux qui sont arrivés plus récemment ont fréquemment rejoint leur parentèle
établie depuis belle lurette en CI. Bien entendu, au fil des générations, ils
ne sont pas restés confinés dans les tâches de manœuvres qui étaient les leurs
à lorigine. Certains sont devenus enseignants, commerçants, cadres…
Tout
cela rappelle effectivement quelque chose de congolais. Mais ce nest pas la
« congolité ». Le portrait du burkinabé ou plus généralement du
« nordiste » de CI rappelle de
façon frappante ce quon est accoutumé dentendre au Congo, et singulièrement
au Katanga, à propos de la « diaspora kasaïenne » : elle a été
organisée très tôt par le colonisateur en fonction de ses besoins en main
dœuvre et beaucoup de « non-originaires » nont jamais vu leur
région dite « dorigine » et nen parlent même pas la langue. Même
leurs portraits moraux sont similaires : on les dit plus intelligents,
plus dynamiques et plus travailleurs que les « originaires »[5].
On se trouve donc là devant autre chose, devant la thématique du « non
originaire » qui nest rien dautre quune version africaine dune
attitude largement répandue : la xénophobie envers le travailleur immigré,
« létranger qui vient manger le pain des nationaux ».
Il
semble donc bien que le seul emprunt que le Congo ait fait à
niveau du vocabulaire, le mot « congolité », calqué sur
« ivoirité », ayant eu la
préférence sur dautres possibles, comme par exemple « congolitude ».
La double nationalité
La « congolité » au premier sens du terme visait surtout UNE
personne. Ce nest pas le cas de la
question des doubles nationalités. A en croire certains media congolais, ce
seraient 60% de la classe politique qui seraient cette fois visés ! De plus,
le scénario a fortement gagné en subtilité, par rapport au simplisme des faux
Congolais qui nétaient pas des vrais Congolais vraiment du Congo.
Car il sagit maintenant des
Congolais qui tout en étant de vrais Congolais du Congo, ne sont pas SEULEMENT
Congolais ! Ah ! Mais cest là quil faut être subtil ! Vous
vous croyez tranquille parce que votre Maman était une beauté Luba, et votre
Papa un sculptural athlète Zande, et que vous êtes né à Lodja, à distance
prudente de toute frontière ? Paisible et tranquille, vous pensez
« Plus Congolais que moi, tu meurs !… » Ô tranquilité
factice ! Ô trompeuse quiétude ! Halte là, mon gaillard !
Quavez-vous fait durant vos années dexil ? Epousé une Anglaise ?
(ou plusieurs ?). Ouvert un commerce à Jandrin-Jandrenouille (« A
Spécialités exotiques ») ? Postulé un poste de balayeur à
Scheveningen ? Et tout ça naurait pas fait un peu virer la couleur de
votre carte didentité ?
On vous le dit : ça, cest du
spectacle. Tout cela grâce à un petit
bout de phrase de la constitution : « La nationalité congolaise est une et exclusive. Elle ne peut être
détenue concurremment avec une autre nationalité ». Il ny a pas de
raison de sarrêter en si bon chemin. On peut déjà prévoir un nouvel épisode du
feuilleton « Congolité» encore plus spectaculaire et plus fort dans le
« jamais vu ». Parce quenfin, après le Congolais qui nest peut-être
pas Congolais, puis le Congolais qui nest pas seulement Congolais, on pourra
mettre en scène « le Congolais qui ne savait même pas quil était
Congolais ».
En effet, deux ou trois lignes
plus bas que le fameux article sur la « nationalité exclusive »,
figure lun des alinéas les plus mal torchés de
dailleurs mot à mot de
Constitution
de « tous les groupes ethniques dont les personnes et le territoire
constituaient ce qui est devenu le Congo (présentement
Cest un de ces textes de lois mal
fichus dont on se demande ce quil veut dire exactement. Mais cela veut dire
aussi quil est susceptible dinterprétations multiples, dont lune serait
« est Congolais tout personne
faisant partie dun groupe ethnique qui a des membres au Congo ».
Il y a peut-être un endroit, dans
tout le Congo, où la frontière correspond à une séparation antérieure à la
colonisation, cest le lac Tanganyika. Il ny a pas de tribu établie « à
cheval » sur le lac, en partie au Congo, en partie en Tanzanie. Mais cela
ne fait que
kilomètres
sans le moindre souci des groupes que lon coupait en deux tronçons ou
davantage ! Tout au long de ces milliers de kilomètres, il y a des
milliers de gens qui pourraient soudain sapercevoir quils sont
Congolais ! Cest là quil y aurait du spectacle !
Ce qui est fort curieux, cest que
les Congolais, qui comme tous les Africains sont fort prompts à accuser leurs
ex-colonisateurs de tous leurs maux, naient pas remarqué que leur législation,
sur ce point, péchait par la servilité avec laquelle elle a imité le droit
belge, lui aussi aberrant de ce point de vue par rapport à ce qui se fait dans
la majorité des nations du monde.
Perdre sa nationalité dorigine
lorsquon en pend une autre et ne pas pouvoir voter dès lors quon ne réside
pas sur le territoire national sont deux caractéristiques du droit belge que
les Congolais ont transcrites dans leurs propres textes. Et ceci, alors que sur
le point précis de la nationalité, les Belges eux-mêmes sont en train
dassouplir leur position.
Or,
quelles que soient les bonnes intentions des juristes congolais et de leurs
conseillers étrangers, ils sont comme tout le monde : leurs habitudes de
pensée leur semblent aussi normales et naturelles que si cétaient là des
évidences, au même titre que la pesanteur ou le fait que le soleil se lève à
lEst. Cétait dans les lois belges et françaises et dans quelques autres de
ces mêmes parages, cétait, par mimétisme, dans
congolaise depuis 1967 et les Congolais ne voyaient pas la nécessité de le
changer. Il parut donc tout naturel de laisser ce malencontreux bout de texte
tel quil était, sans accorder le
moindre instant dattention à toutes les
situations concrètes qui ny correspondaient nullement.
Peut-être
croyez-vous que jexagère à propos de ce mimétisme ? On a eu une preuve
éclatante dans le refus de faire voter la diaspora, à moins de faire le
dispendieux voyage de retour. Bien sûr, les Congolais se sont soupçonnés les
uns les autres davoir fait là un coup sournois à des fins électoralistes.
Cétait tout simplement, encore une fois, la colonisation qui revenait au
galop. Les Belges sont parmi les rares peuples du monde qui ne votent que quand
ils sont chez eux et norganisent rien dans les consulats ou les ambassades. Les
Congolais ont tout simplement suivi les « noko » !
Si
une Constitution a la fonction éminente de fixer les règles suivant lesquelles
fonctionne la démocratie, elle nest malgré tout quun instrument. Elle doit
permettre la vie des gens et même la faciliter, et si elle ne fait pas cela,
elle est mauvaise et il faut la changer. Une constitution est un peu comme un
vêtement, qui doit abriter le corps, non le gêner. Si jai fait lacquisition
dun caleçon, mais que je constate quil me gratte, me pince lentrecuisse ou
mécrase atrocement les testicules, jen fais un chiffon domestique et je
change de marque ! Une loi nest pas essentiellement différente ! Si
elle gêne, il faut la changer.
Puis-je
ajouter quà propos de confort et de gêne, il faut les considérer dans la vie de tous les jours, et pas
uniquement en fonction de considérations électorales. On vote tous les cinq
ans. On doit vivre, manger, circuler tous les jours que Dieu fait ! En
outre, dans tous les pays du monde, il ny aura jamais quune minorité de
citoyens qui feront activement de la politique, et il y en aura encore moins
qui seront, un jour ou lautre, candidats à une élection. Mais tous devront
voyager, faire vivre leur famille, éduquer leurs enfants… Or, ce ne sont pas
les Ministres, ni les grands hommes daffaires qui sont victimes de la
paperasserie ou des tracasseries daéroport. Monsieur Kabila ne se verrait
sûrement pas réclamer son passeport à Zaventem, et Monsieur Forrest pose sans
doute sans formalités excessives son jet privé à Lubumbashi. Les dindons de la
farce, ce sont les « Messieurs Toutlemonde » comme vous et moi,
c'est-à-dire
et le Congo de tous les jours…
Car,
où est lorigine du « problème de la double nationalité » ?
Elle
est à chercher dans lhistoire chaotique et sanglante du Congo du dernier
demi-siècle. Ce nest quand même pas la beauté du paysage qui a amené les
Congolais à contempler de leur fenêtre les terrils de Charleroi plutôt que les
Monts de Crystal ! Ce nest pas la douceur du climat qui les a fixés à
Montréal plutôt quà Lisala ! Cest bien plutôt le fait que le Congo
signifiait pour certains la persécution politique ou ethnique, pour tous la
misère, les carrières bouchées, limpossibilité de poursuivre des études
convenables ou de trouver une école pour ses enfants, linsécurité généralisée des personnes et des
biens… Faut-il ajouter que, pendant ce temps-là, les Belges qui, dans lautre
sens, vivaient au Congo ou sy rendaient fréquemment nétaient pas forcément
tous des « prédateurs esclavagistes néocolonialistes », des
trafiquants de matières premières ou des touristes sexuels… Et il faut bien
constater aussi que, même si dautres pays du monde sont en cause, cest entre
ces situations sont les plus fréquentes.
Quon
le veuille ou non, les circonstances de la vie et de lhistoire ont fait quun
grand nombre de gens, Noirs, Blancs ou dune nuance de peau intermédiaire, sont de fait des belgo-congolais. Il y a toujours avantage à ce que
le droit et les réglements correspondent aussi étroitement que possible à
la réalité.
La réalité, c'est que les Belges
et les Congolais se fréquentent beaucoup, vont beaucoup les uns chez les
autres, et le feraient même encore davantage si les formalités étaient plus
simples et les coûts moins élevés. Beaucoup dentre nous sont en fait des
"belgo-congolais" ayant des amis, des affaires, des attaches, des
amours, et j'en passe… dans chacun des deux pays. Pourquoi ces gens
n'auraient-ils pas, de droit, la double nationalité qu'ils ont de fait ?
La « multinationalité »
ne devrait-elle pas être plus couramment admise, dans tous les pays ?
Est-ce que
biffer de leurs constitutions respectives des articles obsolètes, vétilleux et
xénophobes ? Et la première chose à faire pour poser enfin un geste
concret de relations amicales, égales et respectueuses ne devrait pas être la
disparition pure et simple des contrôles paperassiers, tant pour les Congolais
arrivant en Belgique que pour les Belges arrivant au Congo. Les seuls qui y
perdraient seraient quelques douaniers racketteurs, amateurs de matabiches… Je
ne crois pas que ce soit là le genre dopérateurs économiques dont il faille
exagérément tenir compte !
Inassimilables Rwandais
A lexception du lac Tanganyika, presque
toutes les frontières du Congo coupent des peuples en deux. Les vicissitudes de
lhistoire ont aggravé la situation. On a vu récemment les incidents de Dongo
précipiter des réfugiés congolais en Centrafrique et au Congo-Brazzaville. Les
guerres dAngola ont amené des Angolais à se réfugier chez des cousins
congolais, et ils leur ont rendu la pareille quand, linsécurité se manifestant
de lautre côté de la frontière, ce sont les Congolais qui ont parfois fui vers
lAngola. Dès que les Africains ont perçu que les différents colonisateurs
navaient pas tous les mêmes exigences, il leur a paru utile de gagner lautre
côté dune frontière. Le caoutchouc léopoldien a ainsi chassé vers Brazzaville
des populations de lEtat Indépendant du Congo, et les réquisitions de main dœuvre des mines de Kilo-Moto en ont
fait fuir dautres vers lOuganda[6].
Les liens ethniques
transfrontaliers, les traditions bantoues dhospitalité et la pitié naturelle
devant la situation de réfugiés ont cumulé leurs effets pour que ces
déplacement, et leur conséquence : la présence au Congo de ressortissants
des pays voisins, se passent sans drames et même généralement bien. Il est par
exemple manifeste que les expulsions réciproques de Congolais par lAngola et
dAngolais par le Congo ont été des mesures commandées par des considérations
politiques au niveau des gouvernements, et que le sentiment populaire a été
dincompréhension, voire de désapprobation. A plus dun endroit, la vie
économique en a été perturbée, et même des familles séparées.
Tout cela contribue à brosser du
peuple congolais un tableau dailleurs sympathique de gens qui inclinent
naturellement à laccueil et à lhospitalité.
Il y a toutefois une notable
exception, en la défaveur des originaires du Rwanda. Comme cest une exception, et plutôt que de
supposer une explication qui nen est pas une, à savoir que les Congolais ont
fait une exception tut simplement parce quils ont eu une lubie, il convient
tout de même de se demander si, par rapport aux autres
« non-originaires », les Rwandais présenteraient quelque
caractéristique exceptionnelle susceptible de lexpliquer.
Le Rwanda et le Burundi (alors
appelés « les T.O. » = Territoire ocupés, à la suite de la guerre
14-18) ont manifestement frappé les Belges par deux caractéristiques qui
contrastaient avec ce qu'ils connaissaient au Congo: la densité de la
population et les possibilités agricoles. Il ne faut pas fantasmer, le Rwanda
ou le Burundi ne sont pas le pays de Cocagne. D'où l'idée d'une complémentarité
avec le Congo qui souffrait à l'époque d'un manque de main d'œuvre et de
difficultés d'approvisionnement. Lesquelles étaient en fait – et cela n'a guère
changé‚ – des difficultés de transports soit d'une région ayant fait de bonnes
récoltes vers une autre où il y avait momentanément disette, soit plus
globalement des campagnes vers les villes en plein développement (Léopoldville
est alors en construction)[7]. "Une suggestion: le Congo manque de plus en
plus de main d'œuvre et les T.O. en regorgent. Ne pourrait-on prélever ici un
contingent de travailleurs pour les grands centres industriels ?", écrit
alors le journaliste CHALUX, (« Un an au Congo », page 522).
Les tentatives en ce sens, malgré
le bel enthousiasme des débuts, furent limitées et très modestes. Un manuel
explique : "Entre 1930 et 1940, les Autorités
organisèrent une colonisation rurale dans le Nord Kivu du Congo belge au profit
de 25.000 migrants rwandais. Mais cette forme d'émigration ne fut pas
poursuivie et ce fut la migration de travailleurs salariés vers le Katanga,
l'Uganda et le Tanganyika qui l'emporta, mais sans s'amplifier après le maximum
de 1930 (1930: 30.000 salariés – 1950 : 20.000 – 1962 : 21.000). Elle est
encore plus réduite aujourd'hui."[8]
Cest tout de même étrange, si
lon considère que cette abondance de population suscita lenthousiasme dès le
départ, et motiva les pressions que
deux territoires. Pourquoi aurait-on abandonné un projet apparemment prometteur
en faveur duquel on avait fait des efforts continus pendant plusieurs
années ? Encore une lubie, mais cette fois des Belges ?
En ce qui concerne la faiblesse
relative de lémigration vers les régions minières, cest en grande partie la
conséquence dun fait biologique non-prévu : lincapacité de beaucoup de
Rwandais et Burundais à sacclimater au Congo et leur sensibilité à des
maladies inconnues chez eux.
Ces problèmes ne se posaient pas
dans le Nord-Kivu qui présente avec le Rwanda une continuité de paysage,
daltitude et de végétation. Néanmoins, la première tentative dy faire venir
des paysans rwandais resta sans lendemain. Cela fut la conséquence de rapports
négatifs des fonctionnaires coloniaux belges chargés dencadrer lexpérience.
Ils constatèrent en effet que loin de se considérer comme des hôtes accueillis
sur la terre dautrui et devant, de ce fait, quelque reconnaissance, les
déplacés considéraient au contraire que leur installation constituait une sorte
de conquête pour leur pays et pour « leur
mwami Musinga ». On se heurtait en fait à un refus pur et simple de
toute assimilation au « pays daccueil ». Il convient de souligner
encore une fois que ce sont là des constations qui datent des années 30 et
sont donc de ce fait complètement indépendantes de tous développements
ultérieurs, y compris le débat sur la « congolité ».
[1] On a commencé par attribuer au fils adoptif de
L.D.Kabila un père rwandais, camarade de maquis de Mzee, et une mère congolaise
de ce même maquis. Pui on sest aperçu que la mère suffisait pour faire de
lenfant un membre de la plupart des ethnies qui vivent dans la région de
Baraka-Fizi. Par application de lart 67
de
il était dès lors Congolais comme les membres de « tous les groupes ethniques dont les
personnes et le territoire constituaient ce qui est devenu le Congo
(présentement
République Démocratique
finalement à un Rwandais « pur jus ».
[2] Il ny a pas eu que sa généalogie incertaine.
On a invoqué aussi le fait quil était militaire et aurait démissionné trop
tardivement.
[3] Inexacte en fait. Le concept d'ivoirité
est apparu en 1945 à Dakar, avec des étudiants ivoiriens. Il réapparait avec le
président Henri Konan Bédié en 1993. Il en fait un usage plutôt libéral,
nationaliste. Mais, repris par ses adversaires politiques, ce concept est
bientôt imprégné d'idées nationalistes et xénophobes. Des campagnes de presse
ont ainsi imposé ce concept, qui conduit notamment à l'élimination du candidat
du nord de
d'Ivoire, Alassane Ouattara. Ce rejet de Ouattara est facilité par le contexte
de "méfiance identitaire". Le 19 septembre 2002, des soldats rebelles
venus du Burkina Faso tentent de prendre le contrôle des villes d'Abidjan, Bouaké
et Korhogo. Seule cette dernière explosion, manifestation, il est vrai, la plus
violente de livoirité, offre un certain caractère de concordance avec des
événements congolais, notamment avec lémergence du thème de la
« congolité » dans la « pré-campagne » électorale à la
même époque.
[4] Il est quasiment
impossible à Abidjan, la capitale économique, de retrouver des familles
entièrement d'une ethnie ou d'une religion.
[5] Comme le faisait marquer un
« kasaïen », on sempresse de remarquer quun kasaien est premier de
sa classe, mais lon ne mentionne pas le fait que le denier est de la même
ethnie. On pourrait relever aussi que lon envie leurs succès en affaires u en
politique, mais que lon mentionne peu le fait que la pesse congolaise est
majoritairement écrite par des kasaiens, alors que cela leur donne une
possibilité dinfluencer lopinion publique. Masi, au Congo, journaliste est un
métier de crève-la-faim et cela ne suscite donc lenvie de personne !
[6]
mai 19
article intitulé Coloniser: «… Sait-on à Bruxelles que
lIturi se dépleupe dune façon rapide ? Cest par milliers que les indigènes
des régions frontières sexpatrient chez lez Anglais[6]…ces populations se sauvent
pour ne pas être sollicitées volontairement, avec le fouet au derrière et
souvent la corde au cou, à aller travailler aux mines de Kilo-Moto…Sait on à
Bruxelles que les agents territoriaux ont pour unique besogne la mission de
forcer les chefs indigènes à faire travailler leurs administrés à des cultures
vivrières pour les besoins des mines ? Toutefois le gouvernement a pris des
mesures sévères pour empêcher ces émigrations en masse, il a établi aux
frontières des forces militaires imposantes…Ce sont des mesures efficaces pour
empêcher le dépeuplement de la colonie et garder des esclaves en suffisance
pour les mines de Kilo-Moto… »
[7] La situation était néanmoins
grave: il fallut légiférer en 1923 (ordonnance 47 du 12 août) pour obliger les
employeurs à fournir une ration de 3.500 calories par jour et, en 1926, le
rapport Lauwers au Congrès colonial constatait l'état de sous-alimentation de
la plupart des Congolais.
[8] SIRVEN, GOTTANEGRE &
PRIOUL : « Géographie du Rwanda »,
page 57.